Oulalalalala, ça sent pas le titre d’un post qui parle d’un beau départ, toutes voiles dehors, d’un soleil chaud illuminant un joli groupe de copains agitants leurs mouchoirs sur le quai.
Et oui, le scénario catastrophe, et pourtant, tellement prévisible…
Le souci, c’est que les premiers amis qui nous attendaient sur le quai, c’était les pêcheurs, nos chers racketteurs décrits dans ce post sur la mafia des fishermen.
Et bien entendu, ceux-ci réclament leur prétendu dû pour gardiennage de 40 000 Roupies (600€). Je les ignore. Rappelons que leur prétendu salaire pour gardiennage n’est en fait qu’une extorsion de fonds accompagnée de menaces de couper les amarres, mettre de la drogue à bord… et que j’ai décidé d’arrêter de subir leur racket.
Donc, je les ignore.
Et puis les Douanes sont arrivées, qui inspectent partout partout. En fait, ils demandent surtout des détails sur les « valuable personnal goods ». Il n’y en a pas à bord, hormis 3 vieux laptops, disques durs externes, 2 appareils photos mais ils réclament une liste. J’y rajoute nos bagues de mariage, parce qu’ils me demandent si j’ai des bijoux…
Ils me disent qu’au delà de 45 000 Roupies de valeur, ils taxent… Donc je mets des prix ridicules sur la liste… (Après vérification sur internet ce soir, il s’avère qu’il n’y a aucune limite de poids de bijoux à l’export s’ils font parti des bagages, et que les vieux matériels électroniques ne sont pas pris en compte.)
Ca dure longtemps tout ça. Pendant ce temps, les pêcheurs ont appelé la police, et l’abreuve de leur version des faits (le méchant employeur qui ne paye pas les malheureux watchmen acharnés). Tout cela sur le quai, où le superintendant des douanes signe enfin nos papiers.
Le personnel de l’immigration est là aussi, qui attend son tour.
Le Superintendant me fait remarquer qu’il est très gentil de ne pas émettre d’objection pour nos « valuable goods », très nombreux. Et il glisse quelques mots à Kogul, le responsable administratif de Ultramarine, le chantier. Kogul me glisse alors à l’oreille qu’il réclame des sous pour sa mansuétude.
« Mais je ne peux pas le payer puisque les roupies sont interdites à l’exportation, je suis à sec ! ». Très embêté, Kogul glisse au superintendant qu’il viendra le voir plus tard. Corrompu n°1 de la journée.
Le ton monte chez les pêcheurs. Les deux policiers, hilares, grands copains des pêcheurs, me demandent de les suivre au poste de police pour expliquer la situation.
Kogul, d’Ultramarine, disparaît alors bien vite, alors que ces pécheurs étaient en fait à l’origine sous contrat avec eux, et qu’il est parfaitement au courant de la situation. Mais ce sont là les méthodes de ce chantier, disparaître au moindre problème.
Voyant cela, l’officier d’immigration, et l’agent spécial qui est venu de Chennai pour tamponner les passeports m’annoncent qu’il me faudra leur fournir un document montrant que cette situation est solutionnée avant qu’ils puissent tamponner nos passeports. Et pourtant, il n’y a AUCUNE plainte déposée contre nous, juste une bande de semi-clochards qui braillent sur le quai, et cela suffit à faire plier un officier supérieur du bureau d’immigration.
Il me faut donc aller au poste de Police. Oui, j’aurai pu donner 40 000 Rs aux pécheurs sur le quai, ils nous auraient laissé tranquilles, on serait partis aujourd’hui. Mais subir un racket, c’est assez difficile à accepter, surtout quand on subit cela depuis 2 ans.
Lionel, le patron du chantier qui s’est malheureusement bien indianisé m’a d’ailleurs dit un jour (quand il m’adressait encore la parole) « C’est moi qui te tiens par les couilles, pas l’inverse, ne confonds pas ». Après un chantier qui vous méprise, des officiels qui vous arnaquent, des pécheurs qui vous menacent… on déborde. Mais ça marche comme ça ici. Une famille de blancs entre les mains d’une entreprise, d’une administration, de la Police, d’un syndicat qui fait peur aux politiques, et on est « tenu par les couilles », forcés à payer, à baisser le pantalon, à subir platoniquement l »humiliation. Aucune vengeance possible, si ce n’est, justement, de raconter tout cela sur le net.
Donc, nous voilà au poste de Police, a expliquer à un officier la position de chacun. Pour faire court, les pécheurs réclament maintenant 60 000Rs (et non plus 40 000), et moi, je m’estime victime d’une extorsion de fonds accompagnée de menaces sur mes biens personnels.
Les pécheurs ont même un avocat ! Comme toute bonne mafia, un grand gars à pantalon à rayures, on se croirait à Chicago. Sauf que les pécheurs, eux, ne sont pas en costard, mais en lungi, sorte de kilt traditionnel indien sous lequel on imagine les pires horreurs… (Sur, l’alcool que nos sous vont leur permettre d’acheter ce soir ne servira pas à se nettoyer l’entre jambes).
Et vas-y que pendant une heure, grosso modo, on parle dans le vide puisque le policier ne semble pas considérer du tout que c’est moi la victime !
De sorte qu’au final, sa solution, c’est « OK, vous n’avez qu’à faire 50/50. On dit 30 000 et c’est bon ? ». A ce stade, la prudence m’oblige à acquiescer. L’avocat menace, en cas de refus de ma part, de déposer plainte. A ma menace, moi, de déposer plainte pour extorsions de fonds, il me réponds « vas-y, pas de problème, fais comme tu le sens… ».
En parallèle, depuis mon premier pas sur le bateau ce matin, sentant la pression menaçante des pêcheurs, j’ai contacté le Consulat de France. Nous avons la chance d’en avoir un ici, sous la main, censé, comme sa mission l’exige « porter assistance à tous les ressortissants du pays que l’ambassade représente, en cas de difficultés avec les autorités locales, y compris dans le cadre de procédures judiciaires, dans le respect de la légalité et de l’ordre public local. «
Or, au consulat, ce sont les abonnés absents. La personne qui fait le lien entre Police et les Français est en déplacement. Sur son portable, il me dit que la police a été prévenue, et sera là pour nous protéger (!!!), et au bout de 3 coups de fil durant lesquels la situation dégénère, me dit qu’il ne peut pas faire grand chose, qu’il me faut contacter le consul ! Celui ci est « en entretien à l’extérieur ». Sa secrétaire me promet son appel à 12h30 à son retour. Je n’aurai JAMAIS de ses nouvelles. Merci la diplomatie française pour son « assistance ».
Voilà, je me retrouve donc à devoir accepter de payer 30 000 Rs de plus à ces racketteurs. Une fois payés, ils sont hilares, c’est répugnant. Et cette certitude d’être le pigeon de l’histoire est très très dur à avaler.
Le Policier lui, ne trouve à répondre à mon air lugubre que « Ohhh, pour vous, c’est une journée de salaire ! ». Et voilà, la justice indienne résumée en une phrase. Et bien évidemment, vous pouvez être sûr que sur les 30 000Rs, une partie retombera dans les poches du policier, le Sub Officier du Poste de Police d’Odian Salai, corrompu n°2 de la journée.
Il faut encore à la Police une heure pour me taper un courrier disant qu’il n’y a pas de plaintes contre moi, et un courrier de l’avocat statuant l’accord entre moi et les pécheurs. Il faut aller faire signer ce document par un flic qui se trouve à l’autre bout de la ville. Il est dans la rue, avec d’autres galonnés. Il signe le papier après 15 minutes à nous faire poireauter au soleil, puis demande « Vous pouvez me donner un petit quelque chose pour acheter de l’eau douce ? » !! Et hop, 500 roupies (c’est 7 roupies les 20 litres), dans sa poche, corrompu n°3.
A cet instant mes nerfs sont à fleur de peau. Je pense que muni d’une batte de cricket, je n’aurai pu résister à en caresser le visage de Selvam, chef de la mafia. Tous corrompus, tous pourris, tous lâches… c’est très dur à supporter. Le moral est au plus bas, la haine est au plus haut… c’est terrible pour moi de quitter le pays dans un tel état d’esprit.
Il est alors 15 heures. J’appelle l’officier d’immigration en lui disant que les documents sont prêts, qu’il peut venir en bateau pour finir les tamponnages. Mais le temps qu’il arrive, la marée est trop basse, c’est trop risqué de prendre la passe.
Rendez-vous est pris pour demain, 11h. D’après l’officier d’immigration, il y en a juste pour 2 ou 3 minutes. Mouais, on verra bien… car il manque encore un document des Coast guards, qui réclamaient, pour donner leur clearance, de voir le papier des Douanes… aurons-nous le document demain, pourrons-nous faire tamponner nos passeports, voire, rêvons un peu, mettre le cap à l’Est, loin de ce bourbier Indien ?…
Il est terrible d’écrire ce post, très long, très chargé, sans doute inintéressant à lire pour la plupart d’entre vous, mais il est des jours où on a besoin d’évacuer le trop plein, et ce site sert à ça, partager nos épreuves, comme nos bonheurs, heureusement, beaucoup plus nombreux.
A demain, pour la suite… le bonheur ?