Le Racket légalisé, le ballet des corrompus

Oulalalalala, ça sent pas le titre d’un post qui parle d’un beau départ, toutes voiles dehors, d’un soleil chaud illuminant un joli groupe de copains agitants leurs mouchoirs sur le quai.

Et oui, le scénario catastrophe, et pourtant, tellement prévisible…

Le souci, c’est que les premiers amis qui nous attendaient sur le quai, c’était les pêcheurs, nos chers racketteurs décrits dans ce post sur la mafia des fishermen.

Et bien entendu, ceux-ci réclament leur prétendu dû pour gardiennage de 40 000 Roupies (600€). Je les ignore. Rappelons que leur prétendu salaire pour gardiennage n’est en fait qu’une extorsion de fonds accompagnée de menaces de couper les amarres, mettre de la drogue à bord… et que j’ai décidé d’arrêter de subir leur racket.

Donc, je les ignore.

selvam    Et puis les Douanes sont arrivées, qui inspectent partout partout. En fait, ils demandent surtout des détails sur les « valuable personnal goods ». Il n’y en a pas à bord, hormis 3 vieux laptops, disques durs externes, 2 appareils photos  mais ils réclament une liste. J’y rajoute nos bagues de mariage, parce qu’ils me demandent si j’ai des bijoux…

Ils me disent qu’au delà de 45 000 Roupies de valeur, ils taxent… Donc je mets des prix ridicules sur la liste… (Après vérification sur internet ce soir, il s’avère qu’il n’y a aucune limite de poids de bijoux à l’export s’ils font parti des bagages, et que les vieux matériels électroniques ne sont pas pris en compte.)

Ca dure longtemps tout ça. Pendant ce temps, les pêcheurs ont appelé la police, et l’abreuve de leur version des faits (le méchant employeur qui ne paye pas les malheureux watchmen acharnés). Tout cela sur le quai, où le superintendant des douanes signe enfin nos papiers.

Le personnel de l’immigration est là aussi, qui attend son tour.

Le Superintendant me fait remarquer qu’il est très gentil de ne pas émettre d’objection pour nos « valuable goods », très nombreux. Et il glisse quelques mots à Kogul, le responsable administratif de Ultramarine, le chantier. Kogul me glisse alors à l’oreille qu’il réclame des sous pour sa mansuétude.

« Mais je ne peux pas le payer puisque les roupies sont interdites à l’exportation, je suis à sec ! ». Très embêté, Kogul glisse au superintendant qu’il viendra le voir plus tard. Corrompu n°1 de la journée.

Le ton monte chez les pêcheurs. Les deux policiers, hilares, grands copains des pêcheurs, me demandent de les suivre au poste de police pour expliquer la situation.

Kogul, d’Ultramarine, disparaît alors bien vite, alors que ces pécheurs étaient en fait à l’origine sous contrat avec eux, et qu’il est parfaitement au courant de la situation. Mais ce sont là les méthodes de ce chantier, disparaître au moindre problème.

Voyant cela, l’officier d’immigration, et l’agent spécial qui est venu de Chennai pour tamponner les passeports m’annoncent qu’il me faudra leur fournir un document montrant que cette situation est solutionnée avant qu’ils puissent tamponner nos passeports. Et pourtant, il n’y a AUCUNE plainte déposée contre nous, juste une bande de semi-clochards qui braillent sur le quai, et cela suffit à faire plier un officier supérieur du bureau d’immigration.bananes

Il me faut donc aller au poste de Police. Oui, j’aurai pu donner 40 000 Rs aux pécheurs sur le quai, ils nous auraient laissé tranquilles, on serait partis aujourd’hui. Mais subir un racket, c’est assez difficile à accepter, surtout quand on subit cela depuis 2 ans.

Lionel, le patron du chantier qui s’est malheureusement bien indianisé m’a d’ailleurs dit un jour (quand il m’adressait encore la parole) « C’est moi qui te tiens par les couilles, pas l’inverse, ne confonds pas ». Après un chantier qui vous méprise, des officiels qui vous arnaquent, des pécheurs qui vous menacent… on déborde. Mais ça marche comme ça ici. Une famille de blancs entre les mains d’une entreprise, d’une administration, de la Police, d’un syndicat qui fait peur aux politiques, et on est « tenu par les couilles », forcés à payer, à baisser le pantalon, à subir platoniquement l »humiliation. Aucune vengeance possible, si ce n’est, justement, de raconter tout cela sur le net.

Donc, nous voilà au poste de Police, a expliquer à un officier la position de chacun. Pour faire court, les pécheurs réclament maintenant 60 000Rs (et non plus 40 000), et moi, je m’estime victime d’une extorsion de fonds accompagnée de menaces sur mes biens personnels.

Les pécheurs ont même un avocat ! Comme toute bonne mafia, un grand gars à pantalon à rayures, on se croirait à Chicago. Sauf que les pécheurs, eux, ne sont pas en costard, mais en lungi, sorte de kilt traditionnel indien sous lequel on imagine les pires horreurs… (Sur, l’alcool que nos sous vont leur permettre d’acheter ce soir ne servira pas à se nettoyer l’entre jambes).

Et vas-y que pendant une heure, grosso modo, on parle dans le vide puisque le policier ne semble pas considérer du tout que c’est moi la victime !

De sorte qu’au final, sa solution, c’est « OK, vous n’avez qu’à faire 50/50. On dit 30 000 et c’est bon ? ». A ce stade, la prudence m’oblige à acquiescer. L’avocat menace, en cas de refus de ma part, de déposer plainte. A ma menace, moi, de déposer plainte pour extorsions de fonds, il me réponds « vas-y, pas de problème, fais comme tu le sens… ».

En parallèle, depuis mon premier pas sur le bateau ce matin, sentant la pression menaçante des pêcheurs, j’ai contacté le Consulat de France. Nous avons la chance d’en avoir un ici, sous la main, censé, comme sa mission l’exige « porter assistance à tous les ressortissants du pays que l’ambassade représente, en cas de difficultés avec les autorités locales, y compris dans le cadre de procédures judiciaires, dans le respect de la légalité et de l’ordre public local. « 

sur le quaiOr, au consulat, ce sont les abonnés absents. La personne qui fait le lien entre Police et les  Français est en déplacement. Sur son portable, il me dit que la police a été prévenue, et sera là pour nous protéger (!!!), et au bout de 3 coups de fil durant lesquels la situation dégénère, me dit qu’il ne peut pas faire grand chose, qu’il me faut contacter le consul ! Celui ci est « en entretien à l’extérieur ». Sa secrétaire me promet son appel à 12h30 à son retour. Je n’aurai JAMAIS de ses nouvelles. Merci la diplomatie française pour son « assistance ».

Voilà, je me retrouve donc à devoir accepter de payer 30 000 Rs de plus à ces racketteurs. Une fois payés, ils sont hilares, c’est répugnant. Et cette certitude d’être le pigeon de l’histoire est très très dur à avaler.

Le Policier lui, ne trouve à répondre à mon air lugubre que « Ohhh, pour vous, c’est une journée de salaire ! ». Et voilà, la justice indienne résumée en une phrase. Et bien évidemment, vous pouvez être sûr que sur les 30 000Rs, une partie retombera dans les poches du policier, le Sub Officier du Poste de Police d’Odian Salai, corrompu n°2 de la journée.

Il faut encore à la Police une heure pour me taper un courrier disant qu’il n’y a pas de plaintes contre moi, et un courrier de l’avocat statuant l’accord entre moi et les pécheurs. Il faut aller faire signer ce document par un flic qui se trouve à l’autre bout de la ville. Il est dans la rue, avec d’autres galonnés. Il signe le papier après 15 minutes à nous faire poireauter au soleil, puis demande « Vous pouvez me donner un petit quelque chose pour acheter de l’eau douce ? » !! Et hop, 500 roupies (c’est 7 roupies les 20 litres), dans sa poche, corrompu n°3.

douaniersA cet instant mes nerfs sont à fleur de peau. Je pense que muni d’une batte de cricket, je n’aurai pu résister à en caresser le visage de Selvam, chef de la mafia. Tous corrompus, tous pourris, tous lâches… c’est très dur à supporter. Le moral est au plus bas, la haine est au plus haut… c’est terrible pour moi de quitter le pays dans un tel état d’esprit.

Il est alors 15 heures. J’appelle l’officier d’immigration en lui disant que les documents sont prêts, qu’il peut venir en bateau pour finir les tamponnages. Mais le temps qu’il arrive, la marée est trop basse, c’est trop risqué de prendre la passe.

Rendez-vous est pris pour demain, 11h. D’après l’officier d’immigration, il y en a juste pour 2 ou 3 minutes. Mouais, on verra bien… car il manque encore un document des Coast guards, qui réclamaient, pour donner leur clearance, de voir le papier des Douanes… aurons-nous le document demain, pourrons-nous faire tamponner nos passeports, voire, rêvons un peu, mettre le cap à l’Est, loin de ce bourbier Indien ?…

Il est terrible d’écrire ce post, très long, très chargé, sans doute inintéressant à lire pour la plupart d’entre vous, mais il est des jours où on a besoin d’évacuer le trop plein, et ce site sert à ça, partager nos épreuves, comme nos bonheurs, heureusement, beaucoup plus nombreux.

A demain, pour la suite… le bonheur ?enfants

Départ ?

HAAAAAAAAAAAAAAALELUIAKBAAAAAAAAAAAAAAARMITZViSHNU,

 

Après avoir scrupuleusement suivi le Ramadan,

Après avoir prié en direction de la Mecque et de la Tour Eiffel 5 fois par jour

Après avoir consulté le Rabin de la mosquée de Cochin

Après avoir brûlé 128 cierges à la cathédrale

Après avoir fait don de la quasi-totalité de nos poils pubiens aux prètres du temple des 18000 avatars d’Hanuman

Et surtout, après avoir caressé les fesses de Lakshmi, l’éléphant du coin de la rue

 

Après 15 heures au poste de police d’Odian Salai,

Après 7 heures dans les bureaux des Douanes Pondichériennes,

Après 4 visites aux Coast Guards

Après 2 engueulades avec le chef de la Coastal Police,

Après 12 emails au Ministère de l’Intérieur à Delhi,

Après 27 heures de planton aux bureau de l’Executive Engineer du Port de Pondicherry,

Après 127 photocopies de documents divers au MHA de Pondi

Et surtout, après 4 jours et 3 nuits au RRO, le bureau de l’immigration

 

Il semble que nous allions finalement être payé en retour, puisqu’il apparaît possible, sinon probable, que nous mettions les voiles DEMAIN JEUDI !!!!

Il est également possible (et tellement Indien) qu’un imprévu de dernière minute (un douanier tatillon ?) empêche le départ… peut être quelques cierges de plus demain.

1200 miles jusqu’à Phuket, de 4 à 6 jours suivant la météo, le bateau, l’équipage…

A bientôt.

Quatrième sortie en mer

IMG_0490Ben oui, on tarde, on tarde, donc les amis à qui nous avions dit adieu en Mai, alors qu’ils partaient transhumer en France pour fuir la fournaise Indienne, hé ben les amis, ils reviennent maintenant. A la fois surpris et heureux (c’est ce qu’ils disent) de nous trouver toujours là, ils ramènent de France des trésors oubliés comme du saucisson pur porc, de bonnes bouteilles de vin de pays, des histoires de crise et de morosité…

Du coup, c’est l’occasion d’organiser à nouveau une sortie du bateau. Nous étions donc 26 à bord ce Samedi pour une petite balade. La passe nous est désormais familière, et nous la prenons avec de plus en plus de désinvolture.

A peine sortis, une vedette des Coastguards nous tourne autour. A bord, nous l’apprendrons plus tard, le chef des Coastguards et son grand chef avec sa famille. Pris au dépourvu, le sous chef ne sait pas trop quoi répondre à son chef qui veut savoir qui on est, ce qu’on fait là, si on a prévenu de notre sortie… Notre agent, qui s’occupe de notre procédure d’émigration, sera bon pour un coup de fil incendiaire et une convocation le lendemain dans les bureaux des Coastguards… Tout cela plus pour montrer les gros muscles. Personne ne nous a demandé de prévenir avant chaque sortie… C’est l’Inde, et sa paranoïa…

Petit vent, on a longé le front de mer de Pondicherry, navigué un poil vers le Nord jusqu’à mouiller en face de Kotakupam. Baignade pour tout le monde. De jeunes Tamouls intrigués s’approchent juchés sur des rondins, voir ces curieuses créatures qui s’ébattent à demi nues dans l’eau… Les enfants sont ravis, les parents aussi. Belle sortie joyeuse, qui donne envie de recommencer, et d’accueillir rapidement du monde à bord.

Troisième sortie en mer

Les sorties se suivent et ne se ressemblent pas. Notre départ étant perpétuellement décalé (nous avions prévu de partir ce Dimanche), nous avons pu, aujourd’hui, amener naviguer les ouvriers qui ont travaillé dur sur notre bateau depuis presque 4 ans. Nous leurs avions conseillé de ne pas emmener femmes et enfants, c’est pourquoi ils les ont tous emmenés.sortie3bis

Or, il faut savoir que l’eau n’est pas un élément habituel pour le Tamoul. Certes, il en boit, chaude et parfumée (le Thé), il en voit tomber (la mousson), mais la mer a toujours été vue comme un ennemi (et le fait que le Tsunami de 2004 n’ait pas emporté que sa belle-mère n’a pas arrangé les choses).

Et l’eau, aujourd’hui, contrairement aux autres sorties, avait décidé de s’agiter un peu. C’est donc face à de belles vagues de 2 mètres qu’il a fallu sortir et rentrer dans la passe. Passe un peu stressante puisqu’il faut y effectuer un virage à 90° à ras des cailloux, sur 10 mètres de large (le bateau en faisant 8 !).

Donc, une fois dehors, nos passagers n’en menaient pas large, et les rires de soulagement de s’être sorti de là ont rapidement fait place à… ben, du vomi ! Disons que sur la vingtaine de passagers indiens, une dizaine a fini l’estomac par-dessus bord (s’il avait le temps) ou sur le pont (par manque de temps), voir, sur le plancher en teck du cockpit (par manque de motivation). Bébés allaités, femmes en saris, ouvriers fiérots, tous y sont passés.

Cette ambiance, disons, peu amarinée, alliée au vent quasi absent, nous a fait vite rejoindre notre petit port tranquille, et c’est assez rapidement que tout ce petit monde a regagné la terre ferme, le sourire aux lèvres.

Ce fut l’occasion pour Lola, Timéo et Mael de faire leur première sortie en mer, avec des copains à bord (ça change des fêtes de pirates déguisées), et de rentrer tout fiers parce que eux n’avaient pas été malades !

 

Deuxième sortie en mer

Ahhhhh, la belle sortie ! Nous pensions, enfin les données officielles du Port of Pondicherry, nous annonçaient la même hauteur d’eau à marée haute qu’à notre première sortie. C’est donc plein d’entrain à l’idée de refaire une plongée de l’extrême que nous avons quitté le quai, avec notre chargement de copains équipiers habituel. IMG_0437  IMG_0487
Au bout de 200 mètres, nous ancrons afin de libérer l’hélice tribord, toujours empêtrée depuis notre précédente sortie. Petite douche au Chlorox® pour Matthieu qui commence à y prendre goût, et nous reprenons le chenal, prêts à draguer le fond, pour découvrir qu’il y avait 30cm de plus que la dernière fois ! Une sortie de passe donc assez paisible, bien que la confiance dans les données hydrographiques de la Marine Indienne en prenne un coup.
Une fois dehors, 10/15 nœuds de vent, une belle mer calme. Ce fut l’occasion de gentiment pousser Katali à 12 nœuds, vitesse facilement atteinte sous gennaker, mais avec beaucoup d’émotion pour nous. IMG_0485Entendre la coque se mettre à vibrer, voir les étraves fendre la mer, le bateau traçant ses 2 sillons puissants comme le bœuf charolais labourant la terre fraîche (peut être aurais-je pu trouver plus belle analogie), beaucoup de belles promesses pour nous.IMG_0448

La Mafia des Pêcheurs

Saviez-vous que le mot « Katamaran » est un mot Tamoul : கட்டுமரம், kaṭṭumaram, de « Kattu », bois et « Maram », lié. Incroyable, l’ancêtre de nos modernes multicoques qui sillonnent les océans du monde vient d’ici, du Tamil Nadu ! Au premier coup d’œil, la filiation n’est pas évidente. Au second non plus. De façon évidente, le katamaran tamoul n’a pas évolué depuis le Jurassique. Il s’agit, comme son nom l’indique, de morceaux de bois liés. Voilà, tout simplement. Vous prenez le radeau de la méduse, vous le limitez à 50cm de large sur 3m de long, et voilà. Et le courageux pêcheur local pose son filet là-dessus, et part en mer (ou plus sagement, dans la lagune), pour ramener sa maigre pitance.katamaran

Ce pêcheur-là inspire le respect. Il lutte pour sa survie, et l’assure avec des moyens particulièrement rudimentaires.

Mais ce billet est destiné à dresser le portrait d’autres pêcheurs, avec qui nous sommes malgré nous rentrés en contact : la mafia du port.

Notre bateau a été construit sur le Port de Pondicherry, car il était trop grand pour le hangar d’Ultramarine. Dès le début de la construction, un groupe de pêcheurs, mené par un certain Selvam, a proposé ses services de gardiennage du chantier, moyennant 20 000 Roupies (300€) par mois. Il faut savoir qu’un ouvrier du chantier gagne entre 5000 et 10 000 par mois. Donc 20 000, c’est une belle somme. Surtout pour ne rien faire, car leur prétendue protection cadrait beaucoup plus avec un racket mafieux qu’avec un réel service rendu. Mais bien sûr, craignant des représailles sur le chantier en cas de refus de leur offre généreuse, Ultramarine a payé la somme.

Cela a duré tout le temps de la construction, jusqu’au jour du lancement. Ce jour-là, comme vous le lirez plus en détails dans le post consacré au pré lancement de Katali, les pêcheurs débarquent, et bloquent le lancement en réclamant une somme prétendument due à eux par Ultramarine de 600 000 Roupies (environ 7 ans de salaire), sorte de prime de fin de CDD, pour remplacer la manne qui allait disparaître avec le départ du bateau. Refus catégorique d’Ultramarine, qui joue les abonnés absents. D’autre part, les pêcheurs réclament désormais 40 000 par mois pour assurer la protection du bateau à l’eau, dans le port. La grue et le camion repartent, de peur de se faire casser. Seule façon de débloquer les choses, j’accepte de payer 200 000 Roupies, par l’intermédiaire de Venkat, l’associé Indien d’Ultramarine, qui se chargera de les donner aux pêcheurs petit à petit. En fait, je ne donne que 50 000 Roupies dans un premier temps. Ces 50 000 Roupies, destinées à payer le premier mois de gardiennage du bateau au port, serviront en fait à Ultramarine à payer ce qu’ils devaient aux pêcheurs, le reste allant très certainement au fond de la poche de Venkat.

La somme de 40 000 à payer aux pêcheurs est exorbitante, mais en plus de cela,ils n’assurent aucune protection du bateau. Au bout de quelques jours à l’eau, le bateau a reçu ses premières balafres de la part de ses gros voisins. Ici, un bateau de pêche, c’est un outil de travail, donc des rayures sur la peinture, c’est pas grave. coque2Donc chaque jour, en arrivant sur le bateau, on découvre l’arrière d’un bateau de pêche qui frotte sur la coque, le manche en acier d’un moteur qui laboure notre étrave, ou directement l’arrière des coques qui repose sur le quai en béton… C’est terrible pour nous. Voire notre peinture neuve abimée à ce point, en un nombre incalculable d’endroits, on n’arrive pas à s’y faire. Les pêcheurs, eux, ça les fait rire. Ils nous voient rajouter des pneus, repousser une barque amarrée perpendiculaire à nous, dont l’étrave constituée d’un tube d’acier rouillé frotte sur la coque, crier sur un bateau qui manœuvre n’importe comment, et nous raye la coque tout du long… ils nous voient, mais ils ne font rien, ils rigolent. Particulièrement difficile pour le moral. Et j’ai beau engueuler mes prétendus « watchmen » que je paye à prix d’or, ils s’en foutent, et ne sont jamais là pour surveiller le bateau.

Au bout d’un mois de ce traitement, je les paye pourtant 40 000 pour le mois à venir. J’ai peur que l’arrêt des paiements se traduise par des détériorations sur le bateau. Scène pitoyable (aussi bien pour eux que pour moi), ou, excusez-moi, ces gros cons de pêcheurs sont avachis par terre, avec leurs enfants qui jouent autour, et où ils se partagent mon pognon en ricanant.

Un mois de plus où les pêcheurs sont invisibles. Les dommages sur le bateau se poursuivent. A la fin du mois, quand ils viennent pour être payés, je refuse, leur proposant de les payer 5 000 par semaine, à la fin de la semaine, s’il n’y a pas eu de dommage sur le bateau. Mais pour eux, ça signifie un salaire divisé par deux, et surtout, devoir bosser… inconcevable. D’autre part, ils estiment que je payais les mois en avance, puisque le premier versement donné par Venkat avait servi à régler les dettes, et non mon premier mois de gardiennage. Je les renvoie vers Venkat, qui, comme toujours, joue les abonnés absents.

Leur attitude devient plus menaçante. Ils se pointent sur le bateau, détachent les amarres, que je replace sous leur nez. Ils les redécrochent, je les remets… Il me faut faire intervenir l’Assistant Personnel du Ministre de la Pêche, que connaît un copain Italien à nous. Il les calme au téléphone, puis nous reçoit pour entendre notre cas. Mais après plusieurs jours de palabres, il jette l’éponge, me demandant si vraiment, je ne veux pas les payer… Rien compris celui là. Et cela montre le pouvoir qu’a un groupe d’abrutis sur le pouvoir politique, rassurant…pecheurs2

10 jours plus tard, de retour d’un essai en mer, alors que les Douanes visitent le bateau, les revoilà qui se pointent, s’installent dans le cockpit, et reprennent leur litanie « tu nous dois du fric, on va détacher tes amarres, on va planquer de la drogue à bord et appeler les flics… ». Devant le ridicule de ces menaces, je m’énerve pour la première fois, et leur répète pour la énième fois qu’ils n’auront plus un sous de notre part, qu’ils n’ont qu’à se tourner vers Ultramarine, qui s’est approprié des sous qui leur étaient destinés.pecheurs1

Depuis, nous vivons dans la crainte de retrouver le bateau décroché, à la dérive sur la lagune. Mais nous avons décidé de tenir le bras de fer. Et pourtant, tous ici nous conseillent de nous plier à leur volonté. Notre agent qui s’occupe des procédures d’immigration, et répète les rumeurs du genre « si tu ne les payes pas à chaque sortie en mer, ils jetteront des filets devant ton bateau dans la passe ». Le représentant du ministre de la pêche « Payez-les, ce sont des gens dangereux ». Jusqu’au consulat de France, que nous avons appelé à l’aide « Bien sûr, il ne faut pas encourager ce type de comportement, mais soyez pragmatique, payez-les » ! N’importe quoi, tout le monde baisse le pantalon devant ces abrutis. Nous avons décidé de les envoyer se faire foutre (oui, on devient vulgaire devant tant de bêtise). Pour l’instant, on s’en porte mieux. Le bateau est de toutes façons rayé de partout, mais au moins, on ne paye pas pour un service imaginaire.

L’Administration Indienne

2 ans que nous la subissons, 2 ans qu’elle nous épuise, il est temps de faire un petit descriptif du fonctionnement de l’administration Indienne. Du moins, celle avec laquelle nous sommes le plus souvent en contact, les services d’immigration.le classement à l'Indienne

Notre situation ici est un peu à part pour les services locaux, puisque nous souhaitons quitter le pays par un port qui n’est pas un port International, et où les services d’immigration n’ont pas vocation à tamponner un passeport. Ils peuvent le faire si on leur montre un billet d’avion, mais dans notre cas, on sort du cadre… Le réflexe de tout bon fonctionnaire Indien est donc de faire remonter la patate chaude au supérieur hiérarchique… A force de remonter, notre cas s’est retrouvé sur le bureau d’un haut fonctionnaire du Ministère de l’intérieur de Delhi. Cette remontée a pris tout de même 4 mois, puisque nous avons entamé les démarches de départ mi-Février. Il a finalement pris sa plume le 24 Juin 2014, pour signer un courrier autorisant le RRO de Pondicherry (le bureau d’immigration) à nous tamponner notre passeport, pour que nous partions entre le… 15 et le 20 Juin ! Et après avoir signé ce magnifique document, ce crétin est parti en vacances pour une durée indéterminée… Nous voici donc à devoir ré obtenir une lettre avec une date de départ plus logique !

En parallèle, le RRO a lancé la procédure d’émission de ce qu’ils appellent l’Exit Visa. Je vous passe le monceau de documents qu’il faut produire pour chacune de ces démarches, et vais juste vous raconter l’obtention du NCC, le Non Judicial Case Certificate. Un document prouvant que vous ne quittez pas l’Inde en laissant des casseroles derrière vous. C’est nouveau, ils demandent cela depuis 6 mois aux résidents qui quittent l’Inde, et son obtention est une franche rigolade :

  • Jour 1 :
    • Bureau du « Super Intendant of Police (Pondicherry North) ». On me remet une jolie liste des documents à fournir (par personne : photocopies des passeports, contrat de location, facture électrique et téléphone, 8 photos d’identité, Residential Permit et quelques autres babioles). On vous précise bien que chaque photocopie doit être attestée par un officier gouvernemental (en gros, un écrivain public qui possède ce rôle). C’est donc, pour 5 personnes, un dossier d’une centaine de pages, chaque page devant être tamponnée « certifiée conforme à l’original » sans que bien sûr qui que ce soit vérifie.
  • Jour 2 :
    • Plein d’espoir, J’emmène ce dossier au sus nommé Bureau. Il vérifie chaque page, puis revérifie, revérifie, jusqu’à trouver la petite bête. Dans notre cas :

Mais vous avez déménagé durant votre séjour, il me faut la copie du bail de votre premier logement.

HA HA, PAF, je l’ai dans mon gros dossier que je prends toujours avec moi, HA HA, fonctionnaire tatillon, tu croyais m’avoir ! Allez, hop, le voilà

Il m’en faut 5 copies.

On ne peut pas utiliser le Xerox (ici, un Xerox, c’est une photocopie, comme Frigidaire chez nous. Enfin pour les frigidaire, pas pour les photocopies… bon.) qui se trouve à 25 cm de ta main ?

Non.

  • Après un petit aller retour au Xerox, le dossier est déposé.

Revenez Demain, ce sera prêt

  • Ouahhhh, efficaces en plus !
  • Jour 3 :
    • 10h. Personne au bureau.
    • 11h, le fonctionnaire arrive.

Ha ben non, c’est pas prêt, revenez demain

Mais c’est Dimanche.

Lundi alors, 18h.

  • Jour 5 :
    • 18h. Personne.

Ha ben non, il arrive vers 19H.

Bon bon bon, je reviendrai demain, à 19h.

  • Jour 6 :
    • Haaa, il est là. Tenant à la main mon dossier. La salle d’attente (enfin le couloir pouilleux d’attente plutôt) est rempli des mêmes visiteurs étrangers qu’à chacune de mes visites. On finit par se connaître, se lancer des œillades de plus en plus désespérées, voire, même, esquisser un sourire.

Alors, prenez ces 3 dossiers, et allez au Bureau de Police d’Odian Salai

Et les deux autres dossiers ?

Ils sont là-bas, il y a eu un petit problème…

  • Il est 20h30, je reporte au lendemain
  • Jour 7 :
    • Je suis là-bas à 10h, mes dossiers sous le bras. Les dossiers manquants y sont, miracle ! Ca va aller vite, c’est sûr !
    • Bon, une heure et demie (et 180 pages de mon bouquin) plus tard, c’est moins sûr. Ce gars est à la foi mou, et veut se donner de l’importance. Derrière un clavier, il est désespérant, tapant d’un doigt les noms, prénoms, adresses de toute la famille… je réprime mon envie de lui arracher le clavier des mains pour taper le truc en 2 minutes… Attend-il un backchish ? Aucune envie de lui donner.

Mais dites-moi, dans votre dossier là, il n’y a pas le bail de votre première adresse !

HA HA, PAF, dans ta gueule, il est là, regardes, en 5 exemplaires. HA !

Oui, mais il nous faut 2 exemplaires de plus pour nos archives.

D’accord Monsieur le Policier, je vais au Xerox…

  • A mon retour, dossier complet, je dois revenir à 16h, avec toute la famille.
  • 16h : Les enfants jouent dans la cour, ça fait rire les flics. Personne ne s’occupe de notre dossier. Mael joue à se mettre en prison, car les cellules sont proches… Après avoir vu nos tronches pendant 2 heures, ils nous disent finalement que c’est bon, la famille peut repartir…
  • A 18h, il se penche enfin sur mes dossiers. Un de ses assistants commence à coller les photos d’identités.

Hé, mais c’est pas du papier photo ça !

Non, y avait que du papier normal

Ca va pas, il m’en faut d’autres

  • Et hop, me voilà reparti pour refaire des photos d’identité, 8 chacun, prendre tout le monde en photo, imprimer… et revenir, vers 19h.
  • A 20h, ça y est, le dossier est complet

    Il faut aller le faire signer là haut, chez le Chief Officer.

  • Oui, mais le Chief Officer, il est moins con que moi lui, il est rentré chez lui depuis belle lurette. Son assistant m’annonce que de toute façon, je dois aller au Headquarter de la Police, pour obtenir une attestation du fichier informatique… Mais avant, un petit Xerox, pour le Chief Officer…
  • En bon petit soldat, je m’y rend à 21h. Le vigile, hilare, me dit que c’est quand même un peu tard
  • Jour 8 :

« OK, revenez ce soir ».

  • Le soir :

    OK, revenez demain, le chef a pas eu le temps de signer… »

  • Jour 9 :

    « OK, revenez ce soir ».

    • Le soir :

      OK, revenez demain, le chef a pas eu le temps de signer… »

  • Jour 10 :

C’est bon.

Bon ?

Oui, enfin il faut juste que vous photocopiez l’attestation.

Mais pourquoi ?

Mais pour nous.On doit en garder une copie, et notre Xerox ne marche pas

On peut pas prendre celui qui est dans le couloir ?

Non

Mais… Non, laisse tomber, je vais faire un Xerox.

  • Jour 11 :
    • Retour au « Super Intendant Office » (faut suivre), avec toute la famille. Je la fais courte, il a fallu revenir 3 jours de suite à ce bureau, pour qu’enfin, le Super Intendant en question nous signe le document final !

Et à quoi il sert ce document ? Hé ben juste à permettre à une administration de nous tamponner le passeport pour la sortie, après qu’une autre administration lui en ait donné l’autorisation. Ajoutez à cela les mêmes démarches avec Les Douanes, les Coast Guards, le Port de Pondichéry, et vous aurez un petit aperçu du ras le bol qui pointe entre nos orteils (au lieu du sable fin que nous méritons…)

Première sortie en mer

Ca y est, il avance ce bateau. Il a tiré ses premiers bords au large de Pondicherry, avec une joyeuse bande de copains à bord.

Bon, ça ne s’est pas fait simplement. Le chenal, puis la passe de sortie, sont vraiment très étroits. Donc ça n’a pas loupé, on a touché en sortant, dans le canal. Bon, pas dramatique, c’est de la vase me direz-vous, mais sur la vase, il y a 3 mètres de déchets divers et variés, entassés depuis l’invasion de l’Inde par Genghis Khan, à côté desquels les réserves secrètes du Musée Archéologique du Caire ressemble à une collection de boîte d’allumettes.

Donc, lorsque notre hélice tribord est venue remuer la vase à quelques centimètres, elle a ramassé, en quelques secondes, environ 1 mètre cube (je n’exagère pas), de déchets divers (filets, cordages, lanières plastiques, câbles métalliques, tissus, casques mérovingiens…). Le moteur, devant cet assaut massif, a calé, impossible à redémarrer (nous n’avions pas encore vu la bête).

Avec un seul moteur, difficile de se sortir de là, le bateau tourne en rond. En jouant (enfin, jouer…) avec l’ancre, on a réussi à se remettre au milieu du « chenal », pour ancrer.

C’était donc le moment pour Capt’ain Matthieu de sacrifier quelques années de sa vie en plongeant dans ce qui ici, tient lieu d’eau de mer. En effet, la composition de ce liquide, authentifiée par un institut de santé Suisse, est la suivante :

  • 16% de caca
  • 28% de pipi
  • 17% de curry
  • 6% de plastique
  • 14% de mercure
  • 5% de pneu
  • 11% de plomb
  • 13% d’acide muriatique
  • 0,1% de machine à laver
  • 4% d’eau (quand même)
  • 26% non identifiable (probablement d’origine extraterrestre, mais qui pue !)

Oui, ça fait pas 100%, mais les Suisses sont pas très fort en chiffres.

Ca donne donc un liquide marron (le caca !), dans lequel on voit à peine à 10cm, oui, 10cm !IMG_5199

Je ne m’attarderai pas sur la demie heure passée en solitaire la dedans, à tailler dans le « blob » au couteau, je ne décrirai pas l’état de mes doigts ce soir après quelques coups moins bien ajustés que les autres, ni celle de ma peau, couverte de bubons purulents, ne souhaitant pas vous gâcher votre journée.

Après une demie-heure donc, l’hélice était libre. Par acquis de conscience, un coup d’œil à l’autre hélice a permis de faire durer la partie de plaisir, elle aussi ayant décidé qu’il faisait un peu frisquet là-dessous.

 On repart donc, bien refroidis, et bien rassurés pour attaquer la passe. Ça s’est en fait pas trop mal passé, puisque dans ce que nous appellerons, pour vous donner une idée « le virage de la mort qui tue », nous avions 20 confortables centimètres sous la quille, un vent de travers, et des déferlantes de 4 mètres (bon, pour les déferlantes, Soizic me dit que j’exagère, mais il est possible que mon séjour dans le « machin qui pue » m’ait poussé au délire).IMG_5178

Enfin libres à la sortie, nous avons pu essayer plein de voiles, d’écoutes, de drisses, de ris, de pilotes, de camembert, et d’alcools forts (pour me désinfecter).

Le retour fut aussi tendu qu’à l’aller. Dans le chenal, là où nous avions touché, un gros bateau de pêche s’était échoué (ha, quand même, ça arrive même aux autochtones !). Un fier camarade essayait de le sortir en tirant dessus, mais rien n’y fit, le bougre doit encore y dormir (la marée était descendante).

Du coup, ne sachant plus trop où passer (du côté où ce con s’est planté, ou du côté où nous nous sommes plantés ce matin, on a décidé de passer entre les deux, et donc, de se planter ! Enfin juste racler le « blob ». Donc les hélices ont à nouveau soulevé la bête, et l’hélice babord s’est mise à bien vibrer, mais sans caler. On a pu rentrer au port, mais Capt’ain Mat, désormais munis de 3 jambes et 12 doigts (je tape plus vite), est bon pour une autre petite plongée de nettoyage (et croyez, moi (je sais, c’est dur), mais au port, l’eau est encore pire que dans le chenal…).IMG_5187

Bref, un petit message concis pour vous dire que le bateau s’est bien comporté, pas de souci détectés (ou si peu), et que ça fait du bien.

On remet les réjouissances Samedi et Dimanche, avec sûrement plein de merdes dans les hélices à nouveau (on s’est planté à marée haute, je ne vois pas pourquoi on recommencerait pas).

Le baptême de Katali

Baptême de Katali

Baptême de KataliIl était nécessaire d’effectuer un test de charge de Katali.Baptême de Katali Mais comment lui mettre 4 ou 5 tonnes sur le pont ? Le plein de Diesel, 650kg, c’est fait. Le plein d’eau, 700kg, c’est bon… Il a fallu employer les grands moyens, et réunir à bord plus de 80 copains, sous le fallacieux prétexte de baptiser Katali autour d’un bon plat de Samoussas, Vadas, et autres friandises Indiennes. Une bonne bouteille de Sula, le champagne Indien, a été fracassée sur notre ancre, et le bateau n’a pas coulé, malgré ses 5 tonnes de surpoids. Bon, la ligne de flottaison était loin en dessous du niveau de la mer, mais c’est pour la bonne cause.