CUBA

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Ahhh, Cuba. Elle en fait rêver des gens, cette île. Berceau de l'une des plus belles révolutions. Pays à part, controversé ou applaudi, aux clichés forts, revenus à la mode depuis quelques années. Nous y arrivions plein d'espoir de pouvoir à loisir découvrir ce peuple a priori fascinant, cette île au passé si riche.

Seulement voilà, Cuba nous a déçu, quelquefois anéanti, et souvent rejetée. Cuba est une île financièrement coupée du monde par le boycott des Etats-Unis. Du coup, leur principale (et de loin !) source de revenus est le tourisme. C'est la course au dollar. En cela, Cuba n'est pas unique, et d'autres pays ont su gérer ce problème. Mais à Cuba, tout est plus compliqué. L'Etat étant le seul intervenant économique, tout le tourisme est régit par 3 agences gouvernementales. Et ces agences servent aux touristes qui viennent une semaine ou 15 jours, exactement ce qu'ils s'attendent à voir à cuba : des belles voitures américaines, des papis musiciens, des rouleurs de cigares, de belles demeures restaurées, de la salsa, et du mojito.

A partir de là, le problème est que ces clichés sont omniprésents dans les rues cubaines. Mais en aucun cas, ils ne correspondent à une réalité Cubaine. Non, personne ici n'écoute la chanson "Che Guevara", personne ne danse sur les tubes de Compay Seguno, les cubains boivent de la bière, roulent aussi et surtout en lada, et les seuls papis musiciens sont dans les bars à touristes.

Bon, mais si ces clichés sont destinés aux touristes, alors il doit être facile de s'éloigner des centres villes rénovés, pour "toucher" de la vraie vie ! Pas si simple. Car à Cuba, la liberté n'est pas une valeur traditionnelle, et quand vous tentez de sortir des sentiers battus, tout se complique, il n'y a d'hôtels ou de "casa particulares" (chambres chez l'habitant), que dans les villes touristiques. Quand à planter sa tente à droite à gauche, n'y comptez même pas ! Mais alors, le bateau, c'est la solution parfaite ! On va où on veut, on mouille devant de croquignolesques petits villages où l'on va rencontrer la "vraie" cuba ? Impossible ! Imaginez-vous que sur les 1500km (à vol d'oiseau) que fait la côte Sud, il est autorisé de descendre à terre dans 7 ports ! On tolérera que vous jetiez l'ancre devant quelques autres ports, mais interdiction de descendre à terre !

Une petite histoire pour illustrer ceci : le 13 mars, nous mouillons le soir à Cabo Cruz. La Guarda ne venant pas sur le bateau, nous descendons à terre, accompagnés d'amis anglais qui naviguent quelques jours avec nous sur leur bateau, sonatina. En arrivant, je demande s'il y a moyen de faire du gasoil, car j'en manque. Impossible ! Et pourtant, la flotte de 20 gros bateaux de pêche qui se trouve là ne marche pas à l'huile de tournesol ! Bon, nous entrons dans un bistro pour manger un "pollo frito" et quelques bières. 5 minutes après, 3 officiers de la Guarda arrivent, en nous disant que c'est une zone militaire, que nous n'avons pas le droit de descendre à terre, qu'il n'y a pas de gasoil ici, et que nous avons 5 minutes pour finir notre poulet. Et les types restent devant la porte, attendant qu'on se dépêche... ambiance ! Ils m'assurent qu'à Niquero, nous pourrons faire de l'essence, et me remplissent mon "despacho" (papier que l'on doit faire signer à l'arrivée et au départ de chaque port, donnant l'autorisation d'aller au suivant). Aller à Niquero n'est pas une mince affaire. La côte entre Cabo Cruz et Niquero est décrite dans notre guide nautique comme "la zone la plus dangereuse des côtes cubaines", rien que ça !

Nous partons donc le 14 au matin, toujours accompagnés de Sonatina. Le voyage est épique, en pleine navigation entre les récifs et les épaves, il faut traverser d'étroites passes entre les cailloux. Alors que nous allumons le moteur pour en passer une qui se trouve face au vent, le moteur nous lâche ! Nous parvenons à la passer à la voile, et décidons de continuer ainsi. Mais le vent tombe totalement alors que nous approchons d'une seconde passe ! Et les fonds, ici, ne dépassent guère les 5 mètres... Plutôt que de mouiller en attendant de réparer le moteur, nous demandons à sonatina de nous remorquer sur la faible distance qu'il nous reste. Matthieu répare le moteur en route, et c'est au moteur que nous mouillons devant Niquero.

A peine 5 minutes après, le traditionnel officier de la Guarda arrive pour nous dire "qu'il est interdit de descendre à terre" ! Besoin d'essence ? Les autorisations nécessaires sont remplies ? rien à faire, il ne veut rien savoir, nous dit qu'il va appeler son chef, et nous dire demain. Nous descendons tout de même à terre, et tentons de parlementer : nous n'avons besoin que d'une demi heure pour aller faire un plein d'essence avec nos bidons ! Non, le chef dit qu'il faut aller à une autre ville, 80 km au Nord. Comment ? et bien en bateau ! Sans essence, facile !

Nous perdons patience, et reprenons l'annexe pour débarquer à un autre ponton. A peine Matthieu demande t'il rapidement où se trouve la station essence, la Guarda arrive, accompagné d'un policier. Matthieu force le passage avec ses bidons, le policier lui prend son paseport, et veut le faire monter de force dans son fourgon. Soizic accourt, arrache des mains du policier le passeport, applaudi par la population qui s'est amassée. Et c'est finalement cette pression de la population, a qui Matthieu explique la situation "nous voulons juste aller remplir nos bidons à la station service", et qui prend notre défense face aux autorités, qui permettra d'aller au poste, de parlementer 1h avec le chef du chef du chef du chef, pour obtenir enfin l'autorisation d'être emmené en voiture de police, enfermé à l'arrière, jusqu'à la station service, puis remmener à l'annexe, et renvoyé au bateau.

Evidemment, ce genre d'accueil à de quoi dégoûter d'un pays. Passe encore qu'à l'arrivée à notre premier port cubain, 9 personnes montent sur le bateau pour vérifier notre santé, nos produits frais, nos fruits et légumes, s'il y a des moustiques à bord, si nous transportons de la drogue, nous faire payer, très cher, le droit de naviguer dans les eaux cubaines, et des frais d'immigration, mais nous aurions aimer que ces démarches nous donnent un peu de liberté pour la suite, mais non ! Tout le système touristique Cubain est tourné vers la volonté de canaliser le touriste, de lui éviter trop de contacts avec la population, et donc, de réduire ses libertés, tout en lui prenant le plus de dollars possible. Ca c'est un autre aspect déroutant de Cuba. Deux monnaies sont utilisées sur place, le Peso Cubano, et le dollar américain (qui vaut 27 pesos). Ne sont payables en pesos que les biens et les services de base, essentiels pour les cubains. Les biens à plus forte valeur ajoutée sont vendues en dollars. donc, s'il veut s'acheter... un ventilateur, un Cubain doit trouver des dollars, donc être en contact avec des touristes, et leur soutirer de l'argent. Il y a ainsi un Cuba à 2 vitesses, ceux qui sont en contact avec le tourisme, et les autres. Mais le système est plus pervers que cela, puisque le touriste est vraiment mis à part. En effet, dans tous les musées, salles de musique, restaurants, nous payons en dollars, 27 fois plus que les cubains, juste parce que nous sommes touristes. Même sans que l'on ouvre la bouche, on nous montre que vous ne l'on ne doit pas faire la queue à cette caisse là, mais à celle du fond, réservée aux dollars. Et cela, sans le moindre sourire. Et ce système qui fait que les Cubains trouvent normal et logique que les touristes payent 27 fois plus cher qu'eux pour un même bien mène à de multiples petites arnaques, du verre de jus d'orange (seul prix non indiqué) qui se trouve vendu 2 dollars, alors que c'est 2 pesos partout ailleurs, au billet de bus, facturé 1 dollar au lieu d'un demi peso, en passant par le litre d'essence, que l'on paye 10 fois plus cher.

Bon, on peut comprendre un tel système, même si on ne l'apprécie pas, mais nous avons vraiment été souvent traité comme des parias, des chiens et des imbéciles. Le touriste n'est souvent qu'un portefeuille, et il est normal de vous passer devant dans une queue, et de tenter à tout pris de vous arnaquer. Cuba est un pays communiste, mais ses habitants on vite compris les bienfaits du capitalisme.

Et pourtant, les bienfaits de la révolution socialiste leurs sont répétés assez souvent. Il n'est pas une rue qui ne porte le nom d'un acteur de la révolution, les musées sont remplis des fonds de poches de tous les martyrs (un peu lassant à la longue), et chaque endroit où Fidel Castro à fait caca est marqué d'une dalle de marbre. Certes, cela fait partie de Cuba, mais on sent tout de même tout le poids d'un système ou les cubains sont constamment sous surveillance, interdits qu'ils sont de quitter le pays.

En effet, nous nous plaignons du peu de liberté laissé aux touristes, mais regardont un peu celle dont jouisse les cubains : quelques exemples. Ils n'ont pas le droit de monter à bord de notre bateau, et les rares qui l'ont osé ont pris de multiples précautions; pas le droit de posséder une voiture, les rares qui en ont une sont membres du gouvernement, ou de la famille, et se servent souvent de cette voiture comme taxi non officiel; pas le droit de posséder une habitation, c'est l'etat qui vous en attribue une, la seule solution pour en changer étant de l'échanger avec quelqu'un d'autre; pas de liberté de la presse (2 journaux uniques, organes officiels du parti); interdiction de quitter le pays si ce n'est pas à l'invitation d'une entreprise étrangère, pour étudier, ou visiter de la famille; pas le droit d'utiliser Internet, il faut un passeport; pas le droit de vendre sa production de fruits, légumes, tabac, l'etat est le seul client, et fixe les prix (même si désormais, 10% de la production peut être vendue par les agriculteurs sur les marchés)... Ces restrictions rendent les cubains paranoïaques, et très astucieux pour se procurer ce qui est interdit. Les menus traffics sont légion (on achète de l'essence en bouteille d'1,5l, sous le manteau; on vend des faux cigares aux touristes; il y a des foires d'échanges d'appartements...)

Mais Cuba ne nous a pas réservé que des surprises négatives. Nous avons vécu aussi de très bons moments. Ainsi, sur les cayos (îles qui longent la côte par centaines), où vous avez tout loisir de débarquer (c'est désert !) où nous avons pu rencontrer des pécheurs ou des scientifiques, moins lecteur du petit livre rouge "comment pomper le touriste". A Trinidad également, la plus belle ville du pays, où nous avons déambulé tôt le matin, avant les arrivées des cars de touristes, à la Havane, où, déçus par ce centre ville très partiellement restauré, envahi de touristes et de bars à papis chanteurs, nous avons longuement marché en périphérie, où l'on perçoit l'animation de la vraie vie cubaine, qui se déroule essentiellement dans la rue. A Vinales, jolie bourgade de l'Ouest, dans la région des plantations de tabac, où une maison sur 2 est une "casa particular", mais où nous nous sommes évadés en VTT, sur de petits sentiers boueux, en pleine campagne. A Cayo Cantilles, où 3 scientifiques nous ont invitéà la chasse à l'agouti que nous avons dégusté tous ensemble.

Les Cayos sont, à ce titre, une zone extraordinaire de Cuba. Ces centaines d'îles desertiques nous ont permis de découvrir une faune exceptionelle (singes, agoutis, crocodiles, langoustes, oiseaux...), de faire de très belles plongées en compagnie de très gros poissons (requins y compris), de belles rencontres, et de vivre un peu de calme loin des autorités. C'est, en bateau, une destination idéale.

Toutes ces chouettes expériences se sont produites en marge des trajets touristiques. Il faut donc, à Cuba, accepter de faire l'impasse sur la réalisation de clichés éculés (voir un "vrai" groupe de musiciens cubains; boire un "authentique" mojito dans le bar d'Hemingway; vivre un moment "fort" en se laissant prendre par la main, et danser avec un cubain dans la rue; sentir "battre" le cœur de la ville lors d'une promenade sur le Malecon...

Nous pourrions écrire un roman sur notre mois Cubain. Nous n'avons ici pas la place de tout raconter. Bien sûr, notre expérience de Cuba n'est que la nôtre, et sera tout autre pour un autre visiteur. Cela dépend du temps que l'on passe (1 mois, c'est trop court), des rencontres que l'on a la chance, ou la malchance, de faire...

Nous serions, à ce sujet, intéressé par connaître vos expériences cubaines, ce qui vous avait plu, déplu, surpris, déçu... n'hésitez pas à nous raconter tout cela.

Nous avons quelquefois eu envie de quitter Cuba, après une journée ou vraiment, nous nous sommes sentis méprisés, et mal à l'aise, mais à chaque fois, une belle rencontre nous a retenu. C'est ainsi Cuba, il y a beaucoup de bien, et beaucoup de mal. Cela restera une escale fameuse, remplit d'anecdotes croustillantes, un pays vraiment à part.

 

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